Jean
Jean
Jean de Montchenu, ou Jean-Philibert de Montchenu, (1442-1506), commandeur de Saint Antoine à Rome puis à Ranverso, protonotaire apostolique, ambassadeur de Louis XI, conseiller de l’évêque de Genève, moine guerrier, moine poète sinon libertin, chargé de mission par le pape, évêque d’Agen puis de Viviers, bâtisseur du château de Largentière avant de passer huit ans en captivité comme otage des pirates barbaresques….son curriculum vitae laisse rêveur et mériterait à lui seul un livre ! Armoiries de Jean de Montchenu, protonotaire. Bénéficiant de la protection de son grand oncle, il fait ses études à Rome et obtient le prieuré antonin de Rome en 1459 puis devient commandeur de Saint Antoine de Ranverso. Le 14 juin 1460 il est nommé protonotaire apostolique auprès du pape. Deux fois excommunié, en 1461 et en 1496, il garde cependant la confiance des papes successifs (Pie II en 1458, Paul II en 1464 et Sixte IV en 1471), et Aymar Falco, l’historien des Antonins, en fait l’éloge au même rang que son grand oncle fondateur de la chapelle de la Trinité. Mais précisément, il est permis d’avoir quelques doutes, Falco comme de nombreux historiens (entre autres, Auguste Roche dans son armorial des évêques de Viviers en 1894, Don Germain Maillet-Guy dans son article de 1905 dans le bulletin historique de la Drôme ou encore Jean Porcher qui le cite en 1991 dans la biographie associée à l’étude du chansonnier cordiforme) ont parfois confondu les deux Jean. Les archives conservées par la famille ont le mérite d’apporter des preuves indiscutables qu’il convient de confronter avec les sources historiques diverses. Tout d’abord, le premier document n’est pas l’acte le plus glorieux mais il est chronologiquement le plus ancien : l’excommunication prononcée le 19 décembre 1461 par l’official de Vienne qui semble en tout cas démontrer que Jean de Montchenu, à cette époque, ne présentait pas les qualités requises pour un religieux ! Cette excommunication mentionne qu’en 1461 Jean tenait déjà la commanderie de Ranvers, qui lui a sans douté été retirée en raison de cette sanction, mais il en sera à nouveau pourvu officiellement le 22 avril 1470 par le pape Paul II. Ce document, hélas non traduit, n’indique pas la raison d’un tel opprobre, mais la suite du parcours de Jean de Monchenu peut l’expliquer à postériori. Ainsi, le chroniqueur genevois François Bonivard en donne en 1867 un portrait peu flatteur : « c’était un grand scélérat, d’une conduite honteuse, impudique entres toutes, dissolu, rempli de vices » lorsqu’il était conseiller de l’évêque de Genève et avait pour divers faits d’armes et malversations provoqué l’ire du pape Sixte IV. De son passage auprès de l’évêque de Genève entre 1468 et 1476 on retient quelques épisodes armés aux coté de Charles le Téméraire. Puis, abandonnant l’alliance avec les Bourguignons, Jean de Montchenu se rapproche du roi de France qui le charge de préparer un traité de paix avec le duc de Bretagne, et Louis XI, sans doute satisfait de ses services, le fait nommer évêque d’Agen en 1477 puis de Viviers l’année suivante. Le pape Sixte IV n’ayant pas validé la nomination à l’évêché d’Agen, il obtient l’évêché de Viviers où il se perd en querelles avec les officiers du roi, les habitants de Châteauneuf du Rhône et de Bourg Saint Andéol et même avec les religieux de l’abbaye de Cruas. Il entreprend dans le même temps les agrandissements du château de Largentière, agrandissements qui seront poursuivis par son successeur Claude de Tournon et qui portent sur l’enceinte avec deux tours surplombant la porte principale ainsi qu’un corps de bâtiment reliant les deux tours au donjon. Il se signale par de nombreux procès qui vont lui valoir la colère de toutes les instances de la région au point de faire sans doute excommunication en 1496. l’objet d’une nouvelle «Pénultième janvier 1496. Sentence d’excommunication et suspense rendue par Pierre de Sinemuro, docteur en droits, chanoine gardien de l’église de Lyon, juge commissaire et exécuteur apostolique, contre vénérable frère Jean de Montchenu, évêque de Vivarais et cellérier du monastère de Saint Antoine, portant injonction à tous abbés, prieurs, sacristains, chanoines, archiprêtres, curés et aitres recteurs des églises de publier ladite excommunication au son des cloches, les chandelles allumées… » Les évènements rapportés par les historiens varient ensuite quelque peu, et les dates mentionnées ne semblent pas conformes à la réalité. Ainsi, selon une version contestée, en se rendant à Naples par la mer en 1497, il aurait été fait prisonnier par les barbaresques et délivré en 1505 par les religieux de l’ordre de la Merci – (L’Ordre des Mercédaires, encore appelé Ordre de Notre-Dame-de-la-Merci, est un ordre religieux fondé lors des croisades pour racheter les chrétiens captifs des pirates maures et réduits en esclavage). Un document de 1495 signé de Charles VIII, le fils de Louis XI, vient cependant accréditer cet épisode qui aurait donc eu lieu avant cette date, et non après 1497. Aucune certitude faute de précision explicite, mais le fait qu’on ait pu croire à la mort Jean de Montchenu semble bien le confirmer : et « Charles, par la grâce de Dieu Roy de France, Sicile et Jérusalem, au sénéchal de Beaucaire, bailly du Vivarais à tous nos autres justiciers, officiers ou leurs lieutenants, salut ; …parce qu’on nous avait dit contre vérité que notre aimé et féal conseiller Jean de Montchenu évêque de Viviers était allé de vie à trépas, eussions décerné nos lettres patentes pour mettre le temporel de sondit évêché et les fruits qui en dépendent en notre main…. …par quoi et que depuis avons été informé à la vérité qu’il n’était pas décédé mais en pleine vie, et que sous couleur dudit faux donné à entendre nous ne voudrions pas qu’il fut demeuré empêché (de percevoir les fruits de son évêché),… en faveur même des bons et agréables services qu’il nous a fait, … nous mandons et commettons par ces présentes .. de lever et ôter notre mainmise au profit d’icelui… et le laisser jouir et user pleinement ainsi qu’il faisait avant ladite mainmise… France ….donné à Turin le vingt deuxième jour d’août l’an mil quatre cent quatre-vingt quinze, de nos règnes de le douzième et De par le Roy à la relation de son Conseil, Damont. » de Sicile le premier. Entre 1478, date de la nomination de Jean de Montchenu à l’évêché de Viviers, et 1495, il se passe près de 20 ans pendant lesquels il est tout à fait plausible de placer cet épisode aux mains des barbaresques. Le fait qu’on l’ait cru mort corrobore parfaitement cette longue disparition. Plus surprenante est la date de la seconde excommunication : janvier 1496. ! Qu’ a-t-il pu faire entre août 1495 et janvier 1496 pour entrainer une excommunication doublée de la peine de « suspense » ? Le document n’est pas lui non plus traduit mais la peine de suspense qui entraine pour l’intéressé l’interdiction d’exercer son office peut s’expliquer par le cumul des fonctions d’évêque et de commandeur de Saint Antoine, charge que Jean de Montchenu n’a jamais voulu abandonner pour des raisons lucratives, alors que les deux sont incompatibles. Faute d’autres documents, on s’en tiendra à ces hypothèses vraisemblablement assez proches de la réalité. Petite digression historique pour rappeler pourquoi Charles VIII, roi de France, se pare également des titres de roi de Sicile et de roi de Jérusalem. Le royaume de Jérusalem créé lors de la première croisade en 1099 disparait en 1291 avec la reconquête des musulmans, mais le titre, prestigieux et chargé d’histoire, reste l’apanage de la maison d’Anjou puis des rois de France depuis Charles d’Anjou, frère de Louis IX (Saint Louis) et dernier fils du roi de France Louis VIII et de Blanche de Castille, qui a été couronné roi de Sicile à Rome en 1266 et roi de Jérusalem en 1278. Le royaume de Sicile ou de Naples, né également des croisades en 1130, passe dans les mains des souverains d’Aragon mais avec le mariage de Louis II d’Anjou et de Yolande d’Aragon, revient par succession dans le giron de la maison d’Anjou en 1435. René d’Anjou, « le bon roi René », laisse son royaume de Provence à Louis XI avec le titre plus honorifique que réel de roi de Sicile et de Jérusalem. Le fils de Louis XI, Charles VIII, entend faire valoir les droits de la couronne de France et ouvre un siècle de combats en Italie auxquels va participer Marin de Montchenu. Revenons pour l’heure à Jean de Montchenu, avec le chansonnier cordiforme et une dernière mission pour le moins surprenante concernant l’authenticité des reliques de Saint Antoine. Ce « chansonnier cordiforme », non pas que ce soit son principal titre de gloire, va donner une marque particulièrement originale à son parcours monastique. Il s’agit d’un petit recueil de 72 pages de chansons amoureuses latines et françaises sur parchemin en forme de cœur (de double cœur lorsqu’il est ouvert), unique en son genre pour l’époque. Après maintes vicissitudes, ce document est parvenu par legs au baron de Rothshild qui en a fait don à la Bibliothèque Nationale en 1949. Daté avec certitude entre 1460 et 1470, il porte l’écu des Montchenu et des Ternier (son grand père maternel), le tau des antonins et le chapeau noir ecclésiastique des protonotaires (fonction que Jean occupait au Saint Siège à cette époque), signe supplémentaire de datation indiquant qu’il n’était pas encore évêque. Enfin, en dépit de ce parcours pour le moins atypique, Jean de Montchenu conservera la confiance de la papauté qui va lui donner en 1491 la mission de régler le litige opposant depuis quatre siècles Saint Antoine en Viennois et l’abbaye de Montmajour au sujet des reliques de Saint Antoine. A l’origine, les reliques avaient été confiées aux bénédictins de Montmajour pour fonder un prieuré à la Motte aux Bois, mais devant la renommée grandissante du saint et l’afflux de pèlerins en Dauphiné, puis la décision du pape de créer l’ordre des Antonins, l’antagonisme entre les deux abbayes ne fit que s’aggraver au fil du temps. L’abbaye de Montmajour Les bénédictins revendiquant la possession des reliques, en prétendant aussi semble t il – mais aucune source historique fiable ne le confirme – en avoir conservé une partie, le pape envoya en mission Jean de Montchenu pour tenter de régler le litige. En fait, le problème sous-jacent concernait aussi – et surtout ? – une question pécuniaire, la redevance que Saint Antoine en Viennois devait verser chaque année aux bénédictins de Montmajour en tant que filiale. Les négociations se sont soldées par une bulle papale du 31 décembre 1495 supprimant l’union des deux abbayes, mais la question des reliques semble être restée en suspens. Aujourd’hui encore deux reliquaires subsistent, un à Saint Antoine, et un autre en Arles à l’église Saint Trophime où il a été transféré après la ruine de Montmajour… Quid de la question de l’authenticité de l’une ou l’autre des reliques ?? Reliquaires de Saint Antoine l’Abbaye et de Saint Trophime Jean de Monchenu décède en 1505 ou 1506 à la maison mère de Saint Antoine. Un troisième Jean de Montchenu religieux antonins au XVème siècle ? Entre le grand oncle Jean et son petit neveu JeanPhilibert, un autre Jean, oncle de Jean-Philibert, et donc neveu du grand oncle Jean (vous suivez ?), a pris également l’habit des antonins. Est ce lui ou JeanPhilibert qui serait représenté dans le « Livre d’Heures à l’usage des Antonins » daté du XVème siècle? Ce « Livres d’Heures à l’usage des Antonins » conservé à la bibliothèque municipale de Clermont Ferrand sous la référence MS84 a fait l’objet d’une thèse de doctorat de Nathalie Foron-Dauphin (les enlumineurs à la Cour des ducs de Savoie au XVème siècle – Clermont Ferrand 1986) que je n’ai malheureusement pas pu me procurer. Cette historienne attribue non seulement à un Jean de Montchenu la possession de ce document, mais elle précise que celui-ci s’y trouve représenté aux folios 19 et 77. Sur la photo ci dessus ( folio 19 – source internet), on y voit deux religieux antonins, l’abbé, debout, et un chanoine, agenouillé, (le tau cousu sur leur vêtement, la robe typique des hospitaliers de Saint Antoine en Viennois en attestent), dont l’un serait donc un Jean de Monchenu. L’auteur du livre d’heures, un artiste enlumineur à la Cour des Princes de Piemont, titre que s’arrogent les ducs de Savoie depuis Amédée VIII en 1418, aurait donc reçu commande de ce Jean de Montchenu ? Le rapprochement que l’on peut inévitablement faire avec le cordiforme incite à penser que c’est bien le même Jean à l’origine de ces deux documents. A défaut d’autre élément, on en retiendra simplement une nouvelle preuve de l’implication des Montchenu dans la vie des Antonins pour admirer au passage ce magnifique manuscrit. Un article abondamment illustré a été publié dans la revue « les Antonins », ( n°26 de janvier 2017 Association française des amis des Antonins à Saint Antoine l’Abbaye). Il y est représenté un grand nombre d’enluminures et de commentaires concernant ce manuscrit de 150 feuillets sur parchemin où sont détaillées les « heures » de prière : matines, laudes, prime, tierce, sexte, none, vêpres et complies. Jean-louis Coste 371